Un mandat légitime ?
En application du décret publié le 15 mai 2020 au Journal Officiel, "les conseillers municipaux élus dans les communes dans lesquelles le conseil municipal a été élu au complet lors du scrutin organisé le 15 mars 2020 entrent en fonction le 18 mai 2020". Me voici donc "légalement" investi pour engager un nouveau mandat.
C’est le quatrième, donc avec l’expérience j’ai pris un peu de recul pour l’aborder. Au-delà du déroulement de la campagne électorale proprement dite, sur laquelle je reviendrai le moment venu, j’avais indiqué ICI même le 16 mars que "le risque épidémique considérable qui se propage (Covid-21) aurait dû conduire le Président de la République à stopper ce processus électoral". Je n’ai pas changé d’avis. Aussi, avant la séance d’installation du Conseil municipal qui doit avoir lieu ce samedi 23 mai, je tiens à développer deux éléments sur l’illégitimité de ce nouveau mandat.
Des programmes inadaptés et révolus
La soudaineté et l’ampleur de la crise sanitaire à travers le monde, et principalement dans notre pays, ont complètement bouleversé l’ordre des priorités. Tout le monde s’accorde à dire que "plus jamais rien ne sera comme avant", même si les perspectives esquissées ici ou là divergent fortement. Dans ce contexte totalement inédit, les programmes présentés par les listes en compétition lors du 1er tour des élections municipales le 15 mars 2020 ne pouvaient pas traiter des nouvelles urgences auxquelles nous sommes confrontées. TOUT doit être repensé, y compris au niveau de la commune : protection et prévention sanitaires insuffisantes, moyens trop limité pour les EHPAD et les services d'aide à domicile pour les personnes âgées, aménagements et plan de déplacement à revoir, augmentation du chômage et de la précarité, inégalités et bricolage sur la continuité éducative, fermeture et quasi faillite de certains commerces, arrêt de nombreux chantiers classés d’intérêt public, interruption puis réinvention des activités sportives, associatives et culturelles… Aucun des programmes abordait les dispositions à prendre et les modalités de mise en œuvre pour sortir progressivement du confinement dans les mois qui viennent. Le budget 2020 de notre ville, voté en décembre 2019, doit être totalement revu. Tous les candidats ignoraient les futurs mécanismes de coopération administrative et financière sur lesquels il faudra s’appuyer pour renforcer les services publics et mettre en œuvre très précisément des alternatives écologiques, sociales et démocratiques. Alors, sur quelles bases les équipes municipales en place vont-elles diriger les communes ? En principe, elles s’appuient sur le programme sur lequel elles ont été élues et normalement au bout de 6 ans, les électeurs jugent (en principe) si les promesses ont été tenues. Je sais que beaucoup d’électeurs ne croient plus aux promesses contenues dans les programmes électoraux. Mais si maintenant on entérine le fait que les programmes présentés sont totalement désuets, avant même le début du mandat, sur quoi va-t-on se baser pour contrôler que les élus font bien ce qu’ils ont dit ? Pendant deux mois, on présente des projets, on échange des arguments, on débat sur la faisabilité, les priorités, les financements et le calendrier pour la mise en œuvre, et une fois l’élection acquise, tout ceci serait oublier, car totalement inadapté ? Étrange et inquiétante évolution qui risque d’éloigner encore plus de gens de la vie publique, de la citoyenneté et du civisme…
L’expression très limitée du suffrage universel
Le premier tour des élections municipales le 15 mars a été marqué par un taux record d’abstention 55,36 % sur l’ensemble du pays, soit près de 20 points de plus que lors de la dernière élection municipale de 2014. Dans certaines villes, le taux d’abstention a même dépassé les 70%. Dans beaucoup de communes des listes sont déclarées élues, alors qu’elles ne totalisent même pas 20% des électeurs inscrits. Ainsi à Saint-Michel sur Orge, les élus des trois listes représentées au Conseil municipal totalise 4 147 suffrages sur 12 409 électeurs inscrits, soit 33,42%. Et la liste dite "majoritaire" qui dispose de 26 élus sur 33, n’a obtenu que 18,33% des voix des électeurs inscrits.
Dans plusieurs milliers de villes, le second tour n’a pas pu se tenir le 22 mars. Il sera sans doute organisé fin juin. A moins qu’un report se dessine à l’automne, avec une reprise totale du processus électoral (1er et 2e tour). Fin juin ou à l’automne, ces nouvelles élections, dans un contexte totalement différent, pose la question d’une inégalité de traitement avec les autres communes dont l’élection a été déclarée acquise le 15 mars dernier.
Quitte à vous surprendre, je partage tout à fait le contenu de la tribune publiée ce dimanche dans le journal Le Parisien (lire ICI) par plusieurs députés La République en Marche (LREM). Ils soulèvent à juste titre plusieurs questionnements :
"- Est-ce que le droit de chacun à être représenté dans son vote a pu être garanti, alors que le président s'exprimait avec gravité le jeudi, enjoignant les personnes les plus fragiles à ne pas sortir de chez elles, alors que le Premier ministre annonçait, la veille même du scrutin, la fermeture des lieux publics et exhortait les Français à limiter les réunions ?
- Comment ne pas comprendre l'anxiété d'une partie de nos concitoyens qui ont, in fine, préféré privilégier leur santé et celle de leurs proches ?
- Comment pouvaient-ils choisir entre les préconisations sanitaires des autorités et l'envie d'accomplir leur devoir civique ?
- Ainsi ce scrutin s'est-il déroulé de manière universelle, libre et sincère ? "
Pour affronter les défis actuels et futurs, les élu-e-s locaux et notamment les maires, au plus près des citoyens, ont besoin d’une légitimité forte et incontestable, s’appuyant sur des engagements en lien avec la situation réelle du pays. Dans les circonstances difficiles et compliquées, nos institutions doivent être davantage encore garantes de notre État de droit. Notre démocratie ne doit souffrir d’aucun doute. Il faut donc «"préserver l'expression d'un véritable suffrage universel, la sincérité des scrutins, la liberté et l'égalité face au vote".
Compte-tenu des circonstances exceptionnelles, il aurait été sage et démocratique d’annuler le scrutin du 15 mars. On aurait pu prolonger d’un an le mandat des élus municipaux actuels pour accompagner la sortie prioritaire du confinement. De nouvelles élections municipales auraient pu être convoquées en mars 2021 dans toutes les communes du pays, en même temps que les élections départementales et régionales, afin de ne pas multiplier l’organisation de différents scrutins. Cela aurait pu permettre, au-delà des différents enjeux locaux, d'avoir aussi un grand débat sur l’organisation des différents échelons avec l’État. Un aspect qu’il convient d’approfondir très sérieusement, à la lumière de la mauvaise organisation et gestion de la crise sanitaire actuelle…