Élu-e-s, mais oublié-e-s de la République !

Vous trouverez ci-dessous la lettre ouverte au Président de la République que je viens de signer avec plusieurs centaines de conseillers municipaux, à travers la France. Les conseillers municipaux, représentent plus de 90% des élus locaux.

Nous ne disposons pas d'indemnités, ni de protection juridique. Nous alertons sur les mauvaises conditions d'exercice de notre mandat au sein des conseils municipaux. Les pouvoirs accordés aux maires, ainsi que le non-contrôle de l’application des lois, leur permettent de gouverner seuls. Et nombreux sont ceux qui abusent de ce pouvoir. Tout ceci nuit fortement à la démocratie locale et ne facilite pas l’implication et le civisme des citoyens. Bien au contraire !

Monsieur le Président de la République,

Madame la Première Ministre,

Dans vos travaux, engagés par le gouvernement, et par le Sénat dans un groupe intitulé #AvenirDuMaire, vous avez pris en considération le nombre élevé de démission des édiles.

Nous, élus municipaux, souhaitons, par cette lettre ouverte, vous alerter à notre tour.

La France compte aujourd’hui 34 955 communes, plus de 500 000 conseillers municipaux.

Les maires représentent 7% des élus municipaux.

910 maires ont démissionné depuis le début du mandat, soit 2,6% des maires.

Un constat, réel.

Les maires démissionnent parce qu’ils sont à bout, dépassés par la charge administrative qui leur incombe, de plus en plus lourde ainsi que par la violence des administrés, les menaces de mort et les atteintes à leur vie et celle de leurs proches. Ils sont en proie à un sentiment d’isolement et d’abandon des institutions

Certains allant jusqu’à y laisser leur vie.

C’est une réalité.

Et, il y a effectivement urgence à mettre en sécurité, physique et psychologique, nos édiles.

Mais.

Dans le Morbihan, 90% des démissions depuis 2020 concernent des conseillers municipaux ou communautaires. Moins de 2% concernent les maires.

En Loire-Atlantique, les démissions des conseillers municipaux ou communautaires représentent 85% des démissions.

Nous, les adjoints et conseillers municipaux, représentons 93% des élus locaux.

Nous n’avons, pour la majorité, ni indemnités, ni protection.

Nous nous sommes engagés pour nos concitoyens et nous avons été élus.

Nous sommes des élus de la république.

Mais nous sommes nombreux à avoir le sentiment d’être les oubliés de la politique.

Par cette lettre, nous souhaitons vous alerter sur l’urgence de RÉTABLIR la démocratie locale.

En théorie, les conseillers municipaux ont le droit de s’exprimer sur les affaires soumises à délibération, au cours des débats, et de proposer des amendements aux projets de délibération. Ce droit s’exerce sous l’autorité du maire qui assure la police de l’assemblée et veille au bon déroulement de la séance.

Les conseillers municipaux peuvent poser des questions orales relatives aux affaires de la commune. La fréquence et les règles de présentation et d’examen de ces questions sont fixées dans le règlement intérieur (commune de 1 000 habitants et plus) ou dans une délibération du conseil municipal en l’absence de règlement intérieur.

Dans les faits, nous, conseillers municipaux, constatons que les pouvoirs accordés aux maires, ainsi que le non-contrôle de l’application des lois, leur permettent de gouverner seuls. Et nombreux sont ceux qui abusent de ce pouvoir.

Dans un grand nombre de communes, des maires inexpérimentés, peu scrupuleux ou grisés par le pouvoir, se permettent une lecture de la démocratie toute relative qui s’apparente à une autocratie.

Les démissions des conseillers municipaux et des adjoints, dont le nombre devrait alerter, prouvent un mal-être.

La démocratie locale ne vit pas, et l’analyse des témoignages montre que cet absolutisme est la cause majeure de démission des adjoints et conseillers municipaux.

Cette autocratie que ces maires s’autorisent se caractérise comme suit :

- Les réunions de commissions, réunions censées permettre de débattre, se cantonnent souvent à une présentation des décisions déjà actées par l’exécutif. Quand ces réunions ont lieu.

- Les réunions du conseil municipal, obligatoires une fois par trimestre (obligation non respectée dans certaines communes), ne sont, là encore, qu’une simple formalité administrative. Les délibérations soumises aux votes sont déjà actées, non discutables ou modifiables. Les documents envoyés avec la convocation, dans un délai pas toujours respecté (quand ils sont envoyés) sont trop souvent évasifs. Les votes des délibérations se font sans réelle connaissance du sujet et les réponses aux questions posées sont inexistantes ou évasives. Nombre de conseillers municipaux n’osent exprimer leur désaccord, sous peine de sanction. Ceux qui se sont risqués à parler se retrouvent bien souvent placés dans l’opposition (avec perte de délégations et d’indemnités pour les adjoints.) L’opposition est muselée. Il n’y a, dans de nombreux conseils municipaux, aucun débat. Le vote des délibérations se fait par allégeance et non par conviction.

Nombre de conseillers municipaux et d’adjoints au maire, fatalistes, ne participent plus ou peu et n’engagent pas le débat, sachant celui-ci inutile. Et beaucoup, lassés, avec le sentiment de « ne servir à rien » démissionnent.

- Si une délibération paraît suspicieuse ou clairement illégale, les élus municipaux n’ont que deux possibilités : saisir le contrôle de légalité de la préfecture et/ou déposer un recours devant le tribunal administratif. Les préfectures ne sont pas réactives, certaines ne prennent même pas la peine de répondre. Le recours au tribunal administratif est bien souvent un chemin de croix. Le maire, protégé par les assurances communales, peut se défendre avec le soutien d’avocats et sans engager ses deniers personnels, contrairement au simple conseiller, qui lui, n’a aucun soutien, aucune protection, et qui doit engager les procédures à ses frais. C’est pire si la délibération illégale relève du pénal (conflit d’intérêts et prise illégale d’intérêt). Si un conseiller municipal constate une illégalité et effectue un simple signalement au procureur, celui-ci est invariablement classé sans suite. Et pour les mêmes raisons que celles évoquées ci-dessus, peu de conseillers engagent une procédure, laissant une impunité induite aux édiles.

- En tant que conseillers municipaux, nous n’avons aucun moyen ou canal pour communiquer. En effet le maire a la main sur les supports de communication communaux, mais aussi, bien souvent, sur la presse locale. Et si nous osons nous exprimer par nos propres moyens, nous risquons à chaque prise de parole, une plainte pour diffamation, et, cela, même si nos propos n’ont rien de diffamatoire. Et là encore, procédure et frais. Les autorités, frileuses, n’instruisent que très rarement nos plaintes. Seules celles des maires sont prises au sérieux.

Lors des questions au gouvernement, en date du 22 mars 2023, au Sénat, M. Olivier Véran a énoncé les travaux déjà effectués par le gouvernement pour endiguer les démissions des élus et, ce, depuis 2019. Notamment la protection fonctionnelle, qui coûte peu.

Effectivement, elle coûte peu.

Car, elle ne concerne que les maires ou élus ayant délégations (et indemnités). Soit une minorité des élus communaux.

De plus, celle-ci n’est effective qu’à partir du moment où le conseil municipal l’accorde, par vote à la majorité. Et encore, quand le maire accepte de la porter à l’ordre du jour, ce qui n’est pas toujours le cas, malgré l’obligation légale (L2123-35 du CGCT).

Cette réponse du gouvernement ne concerne donc, dans les faits, qu’une infime minorité.

Dans les faits, le droit à la formation des élus n’est pas ou peu utilisé, par manque d’information sur l’existence d’un CPF élu, par manque d’information sur les formations possibles ou encore par manque de temps.

Dans certaines communes, la pression exercée par des maires peu scrupuleux empêche toute action, des élus ou des citoyens. Toujours en toute impunité.

Le cumul des mandats de certains maires leur a permis de créer un puissant réseau. Certains cumulent le nombre de mandats consécutifs de maire ainsi que le cumul de mandats dans différents organes liés à la commune (syndicats des eaux, SIVOM, conseil communautaire…). Cela aboutit à isoler encore plus les conseillers municipaux qui se battent pour faire vivre la démocratie locale.

Dans ces conditions, très peu dénoncent et moins encore engagent des actions. Et surtout, voyant l’impunité dont bénéficient les maires, finissent par abandonner leur mandat.

Ce cumul des mandats laisse aussi croire à ces maires qu’ancienneté vaut compétences et que les primo-élus n’ont pas légitimité à intervenir.

Ces maires, bien conscients de cela, s’autorisent toutes les libertés dans la gestion de la commune.

Et parfois ils règnent en maître absolu sur leur territoire, sans craindre d’user de pressions, menaces et intimidations, pour asseoir leur pouvoir. Échappant totalement au contrôle du gouvernement.

La majorité des démissionnaires ne démissionnent pas « pour raisons personnelles » mais bien parce qu’ils ont pris conscience de leur « inutilité » et surtout de l’impossibilité de dialoguer, de partager et d’échanger au sein du conseil municipal.

Dégoutés par le manque de démocratie, dégoutés par l’impunité, dégoutés par le silence des institutions.

En 2020, 106 communes se retrouvaient sans candidats aux élections municipales.

Si rien n’est fait pour redonner goût au mandat communal, ce chiffre risque d’être bien plus élevé en 2026.

Nous avons, par notre pluralité, une importance. Celle de représenter nos concitoyens.

Nous sommes encore nombreux à tenir, parfois au prix de notre santé et notre vie familiale.

Il devient urgent de nous entendre. Sans conseillers municipaux, un maire ne peut siéger.

L’#AvenirDuMaire et de la démocratie locale passent par nous.

Voir la liste complète des signataires sur le site de Médiapart

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