Enlisé dans l’affaire Benalla, puis la contestation des « Gilets Jaunes », le lancement par Emmanuel Macron d’un « grand débat national », se termine dans la confusion la plus totale. En fait le Président de la République poursuivait plusieurs objectifs : gagner du temps pour éteindre les multiples mobilisations sociales par épuisement et déclin du soutien populaire ; dégager quelques dispositions « spectaculaires » pour répondre aux revendications des « gilets jaunes » sans lâcher sur l’essentiel ; conforter sa politique de classe au service de l’oligarchie financière et trouver un second souffle pour sa propagande en vue des élections européennes du 26 mai.

Les principales mesures annoncées le 25 avril, lors de sa conférence de presse (reportée pour cause d’incendie à la cathédrale Notre-Dame) illustrent parfaitement cette stratégie, qui accentue les divisions, va augmenter les inégalités et segmenter encore plus la société sans répondre aux diverses demandes écologiques, sociales et démocratiques. Sur la plupart des sujets abordés, Emmanuel Macron renvoie à des décisions du gouvernement, à des commissions, à la Cour des comptes pour des propositions ou à des dates ultérieures pour l’entrée en vigueur de certaines annonces. Mais encore plus aujourd’hui qu’hier, chacun sait « que les promesses n’engagent que ceux qui y croient ».

J’aborde 7 aspects pour illustrer mon propos :

  1. La ré-indexation des « petites retraites », jusqu’à 2000 euros mensuels, sur l’inflation n’est pas une avancée, c’est la correction d’une erreur commise par ce gouvernement. Cette mesure va encore diviser les retraités et n’arrêtera pas la diminution de leur pouvoir d’achat car l’inflation officielle est minimisée par rapport à l’augmentation réelle du coût de la vie compte tenu de son mode de calcul. Elle ne change rien à la situation actuelle des retraités puisque l’indexation de seulement 0,3% était prévue pour deux ans (2019 et 2020). De plus peut-on considérer que les retraités avec une pension de 2001 euros sont des riches alors qu’ils ont subi une ponction de leur revenu de 1,7% avec la hausse de la CSG et perdent encore autour de 1,5% de leur pouvoir d’achat avec la désindexation des pensions et payent toujours la taxe d’habitation ? Cette mesure tend à ancrer dans les esprits qu’au-delà de 2000 euros de revenu par mois, on est riche, ce qui permet d’évacuer le débat sur les vrais riches ou ultra-riches.
  2. Dans son mépris jupitérien des couches salariées, Emmanuel Macron va encore plus loin. Alors que les français travaillent plus longtemps que la plupart des européens et sont plus productifs (pour ceux qui ont un emploi), le Président de la République veut encore augmenter le temps de travail, sans contrepartie : « travailler plus pour gagner moins » ! Selon Emmanuel Macron, « le problème du pouvoir d’achat n’est pas un problème de salaire », ce qui dédouane le patronat de toute responsabilité dans la crise sociale et évacue la question de la création de la richesse et de sa répartition. Aucun « gilet jaune », aucun cahier de doléance, aucun débat sauf ceux avec le MEDEF, n’ont demandé de travailler plus et de ne pas être payé plus, mais le Président, sous prétexte de financer la dépendance et la baisse des impôts, et de favoriser la « compétitivité » des (grosses) entreprises, la propose comme réponse à la crise sociale.
  3. La baisse des impôts sur le revenu est aussi une mesure pleine d’incertitudes et de tromperies possibles. D’abord, elle n’intéresse que 43,6% des ménages qui paient l’impôts sur le revenu. Mais surtout ce n’est pas ce que demandent les français et les « gilets jaunes ». Ils demandent que les riches paient en fonction de leurs revenus, et que les entreprises (GAFAM, banques, multinationales…) paient aussi leurs impôts et ne soient plus subventionnées par les impôts des citoyens (M. Darmanin, ministre des Comptes publics, lui-même a reconnu récemment que les entreprises recevaient de l’État 140 milliards d’aides diverses, record européen absolu). Les français demandent que l’évasion fiscale soit sanctionnée et que les lois permettant l’optimisation fiscale soient abrogées. En matière fiscale, il aurait été beaucoup plus juste pour TOUT LE MONDE de baisser le taux de la TVA pour les produits de première nécessité. Le gain en pouvoir d’achat aurait été immédiat, avec un impact sur la consommation et donc sur l’activité de production et l’emploi !
  4. L’engagement de ne plus fermer d’écoles et d’hôpitaux, sans l’accord des maires (ce qui laisse entendre qu’avec l’accord des maires il y aura des fermetures de services publics) d’ici la fin du quinquennat, ne peut pas être pris au sérieux. D’abord parce que les mots ont un sens. Ne plus fermer d’école et d’hôpitaux, ne veut pas dire ne plus supprimer des classes et des lits ! Même si l’objectif de supprimer 120 000 fonctionnaires semble ne plus être totalement maintenu, le projet de loi de réforme de la fonction publique subsiste. Par ailleurs ce sont tous les services publics qui disparaissent peu à peu sur l’ensemble du territoire : bureaux de poste, perceptions, gares, guichets et boutiques SNCF et fermetures de lignes de chemin de fer, boutiques EDF, maternités et services d’urgence, commissariats, services de l’État. Peut-on croire sérieusement qu’UNE maison « France services » par canton va remplacer tous ces services, alors qu’il existe actuellement encore plusieurs lieux de mutualisation de services publics par canton ?
  5. Les mesures dites institutionnelles sont du même tonneau. La diminution du nombre de parlementaires ou la dose de proportionnelle au niveau de l’Assemblée Nationale, déjà prévues dans le projet de réforme constitutionnelle proposé par Emmanuel Macron, non seulement n’apportent rien de nouveau suite au « grand débat » mais relèvent aussi de mesures dérisoires et démagogiques, au regard de la crise démocratique que traverse notre pays. De même la simplification du référendum d’initiative populaire (RIP), consistant à diminuer à 1 million de signatures des citoyens son déclenchement (ce qui demande une révision de la Constitution qui n’est pas acquise, tout comme pour le RIC local), tout en maintenant le passage par l’Assemblée nationale avant un éventuel référendum ne répond pas à l’exigence de démocratie. Monsieur Macron n’a rien entendu de ce qui a été dit sur l’abolition des privilèges dont bénéficient les anciens Présidents de la République et toute une caste qui se gavent au sein de multiples structures institutionnelles qui « nous coûtent un pognon de dingue » !
  6. L’annonce de la suppression de l’ENA est à la fois une manœuvre démagogique de diversion et parfaitement conforme avec le projet de loi sur la fonction publique et les objectifs du « Comité Action Publique 2022 », de privatisation de la norme, et de faire en sorte que ce soit directement les multinationales, l’industrie financière qui administrent le pays. Dans ces conditions, la nomination de contractuels venant du privé pour les emplois de directions dans la fonction publique, comme le prévoit le projet de loi est cohérent avec la suppression des écoles de formation des fonctionnaires devenues inutiles. La suppression des grands corps de l’État relève de la même politique, même si leurs privilèges et le principe même de « haute fonction publique » sont aujourd’hui indéfendables.
  7. Enfin que dire du vide sidéral au sujet de l’urgence écologique et climatique. Le Président n’a ni ambition, ni vision, ni solutions à apporter. Au-delà des formules grandiloquentes et incantatoires, aucune annonce concrète : un conseil citoyen tiré au sort devra faire des propositions et la « taxe carbone aux frontières » ou le « prix du carbone » sont renvoyés à l’échelon européen. Ici plus qu’ailleurs la disproportion entre une situation critique qui alerte et mobilise nos concitoyens et les réponses apportées par le Président de la République frise l’irresponsabilité.

Pour conclure, brièvement : A l’issue de cette conférence de presse, apparaît un pouvoir toujours plus vertical et solitaire, un Parlement durablement affaibli. Quant aux corps intermédiaires (collectivités locales, syndicats, associations...), ils sont dans l’imaginaire élyséen de simples relais de la « start-up nation ». Espérons que nos compatriotes sauront saisir les bons bulletins de vote pour dire STOP à Macron le 26 mai !

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